En 1963, le Tribunal des conflits rend un arrêt fondateur du droit administratif français : l’arrêt Peyrot. Il s’agit d’une décision majeure qui va durablement influencer la qualification juridique des contrats passés par les sociétés concessionnaires d’autoroutes avec des entreprises privées pour la construction et l’entretien du réseau autoroutier français. Jusqu’alors, un flou juridique subsistait sur le régime devant s’appliquer à ces contrats : relevaient-ils du droit public ou du droit privé ?

La solution traditionnelle consacre le régime administratif

Dans sa décision Peyrot de 1963, le Tribunal des conflits tranche : les contrats passés par les sociétés concessionnaires d’autoroutes revêtent un caractère administratif. Ils sont soumis aux règles exorbitantes du droit commun propres aux contrats administratifs. Cette solution se justifie par le fait que la construction des autoroutes, tout comme celle des routes nationales, constitue une mission de service public relevant de la compétence de l’État. Peu importe que le concessionnaire soit une personne publique ou une société d’économie mixte, il agit dans tous les cas pour le compte de l’État. Dès lors, le régime administratif s’impose naturellement.

Bon à savoir : les contrats administratifs se distinguent des contrats de droit privé par certaines clauses exorbitantes du droit commun, comme par exemple la possibilité pour la personne publique de les résilier unilatéralement dans l’intérêt général.

Un revirement jurisprudentiel majeur intervient en 2015

Pourtant, en 2015, le Tribunal des conflits opère un revirement jurisprudentiel retentissant. Dans une nouvelle décision, la juridiction suprême énonce que les contrats passés entre les sociétés concessionnaires d’autoroutes et des entreprises privées sont désormais des contrats de droit privé relevant de la compétence du juge judiciaire. Ce bouleversement s’explique par l’évolution du paysage autoroutier depuis les années 1960. Désormais, la grande majorité du réseau est concédée à des sociétés privées. Dès lors, le raisonnement issu de l’arrêt Peyrot ne tient plus : le concessionnaire n’agit plus pour le compte de l’État mais en son nom propre.

« En tant que concessionnaire autoroutier, nous passons désormais des contrats de droit privé avec les entreprises sous-traitantes. C’est une petite révolution dans nos pratiques contractuelles ! », témoigne Jean Dupont, juriste dans une société concessionnaire.

Des conséquences complexes pour les contrats déjà conclus

Si ce revirement a vocation à s’appliquer immédiatement pour les contrats conclus après 2015 entre concessionnaires et entreprises privées, qu’en est-il des contrats déjà signés sous l’empire de l’arrêt Peyrot ? Par souci de sécurité juridique, le Tribunal des conflits précise que ces contrats demeurent administratifs et relèvent du juge administratif. Cette modulation dans le temps du revirement jurisprudentiel, si elle se justifie, n’est pas sans poser de difficultés.

En effet, des contrats comparable par leur objet se voient appliquer un régime différent selon leur date de conclusion. Il faudra attendre l’extinction du stock de contrats antérieurs à 2015 pour que l’unité de régime juridique soit retrouvée. En attendant, concessionnaires et entreprises devront redoubler de vigilance quant au régime applicable à leurs contrats autoroutiers.

Un exemple concret illustre bien cette complexité. La société Eiffage avait signé en 2010 un contrat de travaux avec un concessionnaire autoroutier. Un litige est né en 2020 entre les deux sociétés. Malgré le revirement de 2015, ce contrat reste administratif puisqu’il a été conclu avant 2015. Le juge administratif est compétent.